Collaborations

Michael Jackson, Christopher Currell et le synclavier

Lors de l’édition du MJ Music Day qui a eu lieu le 15 avril 2023 au Abbey Road Institute de Suresnes (92), Christopher Currell est venu spécialement du Japon, où il vit, pour évoquer sa collaboration avec Michael Jackson au cours des années 80.

Les fans de Michael Jackson ont bien sûr entendu parler de ce musicien, compositeur, ingénieur du son et sound designer, qui a travaillé durant quatre ans avec Michael Jackson sur l’album Bad puis sur la tournée mondiale qui a suivi.

Spécialiste du synclavier, c’est grâce à cet instrument innovant à l’époque qu’il va rencontrer Michael Jackson au moment où celui-ci commence à travailler sur l’album qui doit succéder à Thriller.

Le synclavier est le premier synthétiseur numérique, composé d’un synthétiseur, d’un ordinateur et d’organes périphériques (on est dans les années 80 et tout cela était très imposant !). Christopher Currell le définit comme un ordinateur superpuissant – «Ca permet de faire des sons incroyables et ca remplace un studio ! » – très cher, que peu de personne pouvait se payer à l’époque.

La rencontre avec Michael Jackson

« Je me suis rendu compte que Michael n’était pas très technique. »

Michael Jackson possédait un synclavier dans son studio d’Hayvenhurst mais il ne savait pas s’en servir.  Grâce à un ami, Denny Jaeger, qui travaillait pour la société de ce synthétiseur numérique et « qui avait un synclavier qui dormait dans un placard »,  Christopher Currell  commence à travailler et à maîtriser cet outil qui va lui ouvrir les portes de sa collaboration avec le King of Pop.

« Denny  avait réalisé quelques sons pour Michael Jackson. Un jour j’étais chez lui, à San Francisco, Denny était parti faire des courses et le téléphone a sonné. J’ai décroché et j’ai entendu ‘Hello c’est Michael Jackson’. J’étais sidéré. Michael voulait que Denny revienne à Los Angeles pour lui enregistrer d’autres sons. J’ai transmis le message à Denny qui m’a dit : ‘Oui, Michael appelle tout le temps. Mais je n’irai pas chez lui, mon studio est meilleur que le sien !’ Michael a rappelé une autre fois et nous avons discuté du synclavier. Il m’a dit qu’il ne savait pas s’en servir. J’ai alors proposé à Denny d’aller voir Michael à Los Angeles, mais Denny m’a répondu non ! Pourtant je me sentais capable de travailler pour Michael ! »

Christopher Currell se rend tout de même à Los Angeles et c’est par le biais d’un autre ami, Kévin, qu’il est recommandé à  Michael. « Je suis resté plusieurs semaines à attendre des nouvelles de Michael. Et un jour, il a appelé et m’a dit ‘Je voudrais que tu m’apprennes à utiliser le synclavier’. Un dimanche matin, je suis allé à Hayvenhurst et dans son studio, pendant trois heures, je lui ai expliqué les basiques du synclavier, comment le démarrer, mettre la disquette. Je me suis rendu compte que Michael n’était pas très technique. Il m’a demandé de revenir le lendemain et c’est ainsi que pendant quatre ans, tous les jours, j’ai travaillé avec lui sur l’album et la tournée Bad. Nous avons travaillé ensemble un an à Hayvenhurst, avec Matt Forger, avant d’aller aux studios Westlake. »

Le quotidien dans le studio d’Hayvenhurst

« Michael faisait des blagues tout le temps en studio »

Christopher Currell rencontre aussi Bubbles, le chimpanzé de Michael Jackson. On peut dire que l’animal lui a laissé quelques souvenirs ! « Le studio de Michael était composé d’un bureau, d’un studio et d’une pièce remplie de bonbons. Un matin, je suis arrivé dans le studio, il faisait sombre et j’ai vu quelque chose marcher dans ma direction C’était Bubbles. C’était la première fois que je le voyais, quelle surprise ! Bubbles avait un coach qui apprenait à Michael comment le dresser. Ce qui n’a pas empêché Bubbles de faire des bêtises.»

« Un jour on travaillait sur la console du studio. Bubbles était assis entre nous, habillé et il bougeait au rythme de la musique. Il a commencé à toucher à tous les boutons. Michael lui a dit ‘stop !’ et il l’a repoussé violemment. »

Le guitariste David Williams a lui aussi été très surpris par la présence de Bubbles dans le studio, ce qui faisait beaucoup rire Michael. Christopher Currell évoque d’ailleurs le côté bon enfant qui régnait en studio et les blagues de Michael.

« Brian Malouf (qui compte, entre autres, à son palmarès des artistes comme Stevie Wonder, Queen, Madonna ou Smokey Robinson), a travaillé avec nous. Un jour Michael est arrivé au studio avec une fausse araignée qui a effrayé l’ingénieur du son. Michael avait beau lui dire que c’était une fausse, il ne voulait rien entendre. Michael faisait des blagues tout le temps en studio. Un dimanche après-midi, il est venu dans le studio déguisé. Il avait fait du porte à porte avec les témoins de Jéhovah le matin et avait gardé son déguisement qu’il mettait pour ne pas qu’on le reconnaisse. Michael a quitté les témoins de Jéhovah ensuite car il trouvait que cela impactait sa créativité et limitait son art. »

Christopher Currell et Michael Jackson sont devenus proches durant ces mois de travail : « Nous avions une relation particulière. Souvent, il me demandait de créer des sons simplement à partir d’un mouvement qu’il me faisait, sans explication. Mais je comprenais ce qu’il voulait. »

Westlake Studios

« L’album Bad c’est 80 % de synclavier »

« Au bout d’un an de travail à Hayvenhurst, on est allé aux studios Westlake. J’avais déjà rencontré Bruce Swedien qui était venu chez Michael et j’ai été présenté à Quincy Jones.  Quincy avait déjà une personne qui bossait pour lui sur le synclavier mais Michael a décidé de continuer à travailler avec moi. »

Christopher Currell diffuse quelques photos de ses débuts personnels puis des moments en studio. Des photos que l’ont connait tous mais qui attestent de l’ambiance du studio et « de ce que c’était que de travailler avec Michael Jackson. »

« L’album Bad c’est 80 % de synclavier. Je ne sais plus qui a eu l’idée – Michael ou moi –  mais il a été décidé d’enregistrer les battements de son cœur pour l’intro de Smooth Criminal. Michael a fait venir un vrai médecin qu’il connaissait de San Francisco. Mais l’enregistrement des battements était horrible. J’ai mélangé le bruit de son cœur avec un son de batterie et Michael a adoré le résultat. »

« Michael n’a pas voulu que je vienne avec lui à New York pendant qu’il tournait le short film Bad. Il voulait que je reste pour travailler sur l’album. Mais j’ai tout de même travaillé sur l’intro du clip chez moi avec le synclavier.

« Michael emmenait ses animaux au studio, Bubbles bien sûr mais un jour il a aussi emmené son serpent qui faisait 25 kilos. Quincy Jones détestait ça ! »

Bruce Swedien venait aussi avec son chien au studio : « Un jour Bubbles est entré dans la pièce de contrôle et il s’est précipité vers le chien de Bruce, qui n’a pas vraiment réagi ! Le dresseur de Bubbles a voulu prendre une photo des deux animaux mais Bubbles lui a fait non de la tête ! » (vous pouvez retrouver les photos de ces moments dans l’article sur les sessions d’enregistrement de l’album Bad ici).

« Un jour de réveillon de la Saint Sylvestre, Michael m’a demandé si je pouvais travailler, j’ai accepté. Bubbles était là et il s’est mis à sauter partout dans le studio et à tout renverser. Michael s’est réellement fâché après lui, car il y en avait partout. Le lendemain, tout était nettoyé et Michael n’a jamais reparlé de cela. »

Le Bad Tour

« J’étais devant des milliers de personnes à jouer avec Michael Jackson »

« Dans les années 80, les stars testaient leur tournée au Japon. Le Bad Tour a donc commencé au Japon et les japonais ont adoré Michael. »

Christopher Currell s’interrogeait un peu sur la future tournée, se demandait s’il serait de la partie. Il a posé des questions à Michael qui lui a répondu qu’il préférait se focaliser à terminer l’album Bad. Mais il ne restait que six semaines avant d’aller au Japon.

Les répétitions ont permis au musicien d’avoir un peu plus de temps libre même s’il devait travailler sur les chansons en accéléré pour les concerts.

Jonathan Moffet devait être le batteur de la tournée. Mais il était pris avec les concerts de Madonna et a été remplacé par Ricky Lawson pour les répétitions. Finalement Madonna a rajouté des dates à sa tournée et Ricky Lawson a été gardé, d’autant plus qu’il y avait une bonne entente dans le groupe.

Pour recruter un guitariste, le management de Michael Jackson s’est adressé à une école de musique et ils leur ont demandé de leur envoyer leurs meilleurs étudiants. Jennifer Batten était alors enseignante dans cette école et c’est elle qui est venue. « Elle ressemblait à une bibliothécaire le jour où elle s’est présentée (rire). Elle a joué le solo de Beat It. La vidéo a été montrée à Michael, il a adoré mais il a dit : ‘Elle est vraiment bonne mais il va falloir changer son look !’ »

« Il n’y a pas eu de répétitions des chansons de l’album Bad durant la préparation de la tournée car l’album n’était pas encore sorti. Plus tard, pour la deuxième partie de la tournée,  on a commencé à répéter de nouveaux titres. On devait répéter dans un studio des Universal Studios mais il était occupé, et on nous a envoyé en Floride pour les répétitions. Cela a créé des tensions au sujet des salaires. Le management de la tournée (Frank Dileo) ne voulait pas me payer l’hôtel et les autres frais, contrairement aux autres musiciens. J’ai protesté car j’estimais que je devais avoir la même chose et comme j’étais indispensable avec mon synclavier et que je menaçais de partir, Frank Dileo a finalement accepté. »

« Le Bad Tour c’est la première tournée sur laquelle on a utilisé un synclavier, le matériel coûtait 1, 4 millions de dollars. Nous étions seize personnes sur scène. Lors du deuxième concert à Tokyo, c’est là j’ai réalisé que j’étais devant des milliers de personnes à jouer avec Michael Jackson ! Quand je jouais mon solo, avec un Synth Axe (sorte de clavier en forme de guitare), les gens pouvaient voir mes mains en gros plan sur les écrans ! »

Au cours de la pause et des rencontres individuelles avec Christopher Currell, un fan lui a demandé quel était son titre préféré en tournée. « C’est Smooth Criminal. J’aime aussi Speed Demon, mais Michael n’avait pas de chorégraphie pour ce titre alors il ne voulait pas le faire en tournée. »

A une autre question sur le souvenir de son dernier concert, il a répondu qu’il se souvient bien de ce dernier show, à Los Angeles, «car il y a eu un tremblement de terre pendant qu’on jouait ! »

Les rencontres avec les stars en tournée

«Stevie Wonder sur scène, ça a été une surprise»

« Stevie Wonder est venu sur scène en Australie, nous n’étions pas au courant, ça a été une surprise ! »

« Quand le Bad Tour est passé à Minneapolis, Prince est venu et il avait acheté des tas de tickets. Greg Phillinganes et Sheila E étaient amis. Prince ne voulait que personne ne lui parle, et quand Greg a dit bonjour à Sheila, il n’a pas apprécié. J’ai donc décidé de lui faire une blague. Quand Prince est passé devant le groupe (en backstage), j’ai voulu le faire rire en lui disant : ‘Et comment ça va mon pote ?’  Ca a surpris tout le monde et on a tous rigolé. Prince, surpris, a failli rire aussi mais il s’est retenu et a continué son chemin. »

« J’ai rencontré Eric Clapton, il avait été impressionné par mon solo durant un des concerts ! »

« Chacun a sa façon d’évacuer le stress avant de monter sur scène, pour ma part, j’avais besoin de marcher. Un jour que la tournée était en Europe, j’étais seul, je marchais et j’ai entendu des pas venir vers moi. C’était Elizabeth Taylor. Je l’avais déjà rencontrée auparavant. Elle cherchait la loge de Michael alors je l’ai accompagnée et je suis reparti. Quelques instants plus tard, j’ai entendu à nouveau des pas. C’était Sophia Loren qui cherchait aussi la loge de Michael. Je n’en revenais pas. Je l’ai accompagnée. Le lendemain matin la photo où ils étaient tous les trois étaient dans les journaux. Michael avait réussi à réconcilier les deux comédiennes qui étaient en froid depuis un moment ! »

« Une montre avait été fabriquée spécialement pour le Bad Tour et offerte à tous les membres du groupe. C’est une Seiko, je l’ai toujours et je la porte tous les jours. Quand j’ai eu à la faire réparer, j’ai bien prévenu que c’était un objet spécial et le réparateur n’en revenait pas de son histoire. »

Christopher Currell n’a qu’un seul objet dédicacé par Michael Jackson, l’album Bad, qui est toujours accroché dans son studio. « Ce n’était pas mon job de demander des autographes. »

Après une très – trop – longue pause de presque deux heures pour signer des autographes et prendre des photos, Christopher Currell est revenu évoquer l’après Bad. Il avait commencé à travailler sur les sessions de l’album Dangerous mais il souhaitait suivre sa propre carrière. Michael a compris cela et l’a accepté. Il travaille toujours aujourd’hui dans la musique, plutôt électronique. « Le style est différent mais influencé par mon travail avec Michael Jackson. »

Séance de Q & A

  • Quels genres de sons produisiez-vous avec le synclavier ?

Christopher Currell (CC) : « Tout dépendait du titre. On pouvait produire des sons de batterie, de percussions, des parties vocales.

Au début de la tournée, à une ou deux reprises les pyrotechniques ont fait sauté le synclavier car cela créait des interférences et il a fallu improviser sur scène.

Le synclavier a été rebooté et la force des explosions a été diminuée. Le Synth Axe avec lequel je jouais était aussi sensible aux interférences. Il y a eu plusieurs problèmes car tout cela était nouveau pour l’époque. »

  • Quelles étaient les relations entre Michael et Quincy Jones vers la fin de leur collaboration ?

CC : « Les deux hommes avaient des conceptions de production différentes sur Bad. Michael avait évolué et Quincy voulait faire pareil que pour Thriller. En public, tout allait bien, mais en privé ils ne voyaient plus les choses de la même façon. Des tensions étaient apparues entre Bruce et Quincy, la A-team, d’un côté, et l’équipe de John Barnes, la B-Team, de l’autre.  Un ultimatum a même été mis sur Michael pour qu’il se débarrasse de la B-Team. »

  • Y a-t-il eu des parties du titre Bad enregistrées par Prince ?

CC : « Non, pas à ma connaissance. »

  • Avez-vous des regrets de ne pas avoir travaillé sur Dangerous ?

CC : « Non, aucun. L’aventure avec Michael a duré quatre ans, mais c’était trop d’heures de travail. Et je voulais poursuivre mon propre chemin. Michael a respecté mon souhait. »

  • Avez-vous travaillé sur des démos pour l’album Dangerous ?

CC : « Un peu, au début mais je suis parti peu après le début du travail. L’ambiance était différente, les gens autour de Michael étaient devenus étranges. Sur HIStory, je suis crédité car il y a les morceaux de l’album Bad.»

  • Etes-vous resté en contact avec Michael, êtes-vous allé à Neverland ?

CC : « Non, mais Michael fonctionnait ainsi. Il ne s’embêtait pas à connaître le nom de toutes les personnes qui bossaient pour lui. Il connaissait mon nom, celui de Greg Phillinganes. Un jour, en tournée, les membres ont fait une pancarte avec leur prénom qu’ils ont mis autour du cou. Ca a fait rire Michael et il a promis qu’il allait faire un effort.

Jennifer Batten avait une marionnette de Michael et une fois je l’ai mise à ma main et j’ai imité Michael. Cela l’a fait rire. Il aimait les blagues. »

  • Combien y a-t-il eu de démos pour l’album Bad ?

CC : « On a travaillé sur une cinquantaine de titres mais si Michael n’en aimait pas un, il disparaissait. »

  • Quand avez-vous vu Michael pour la dernière fois ?

CC : « La dernière fois que je lui ai parlé c’était au téléphone mais je ne me souviens pas quand je l’ai vu pour la dernière fois. »

  • Y a-t-il eu du playback sur la tournée Bad ?

CC : « Pourquoi voulez-vous savoir cela ?…

Michael Jackson voulait rendre les gens heureux et tous les détails techniques ne faisaient qu’interférer avec la magie. C’était son point de vue et je le respectais. Michael pensait que les gens voulaient le même son que sur l’album.

Le playback ce n’est pas une question de savoir chanter ou non. Michael savait chanter, bien sûr. »

Et non, The Way You Make Me Feel n’était pas en playback. »

Cette après-midi avec Christopher Currell se termine donc sur ce sujet, toujours délicat, du playback, auquel il n’y aura pas réellement de réponse d’ailleurs. Le mot de la fin par l’intéressé reste toutefois louable envers celui avec qui il a vécu quatre années inoubliables :

« Je suis venu aujourd’hui car il n’y aura plus de musique de Michael Jackson mais je voulais que vous ayez un aperçu personnel de ce que c’était de travailler avec Michael Jackson, vous le faire connaître d’une autre façon. »

Vous pouvez retrouver une interview de Christopher Currell sur le site de Brice Najar, ici, ou lire toutes ses anecdotes et bien d’autres le site headphone.guru (en anglais), ici.

Merci à Christopher Currell pour sa gentillesse et son témoignage et à l’équipe de l’association On The Line. C’est toujours un plaisir de se retrouver pour ces évènements.

Crédit photos: headphone.guru / Renaud François, Facebook (photos de Chris Currell prises au MJ Music Day. Merci Renaud pour ces photos)

2 Comments

  • MALAIKA

    John Barnes was a huge part of the synclavier innovation. Though he is mentioned in the article once, it is clear that his contribution to Michael’s sound is only mentioned in passing when in fact Barnes was a key piece to him using the synclavier. He was so key that Michael took Barnes to Bahrain to make more music. Please make sure you have another set of interviews to get at some of the other team members who helped make Michael’s sound.

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