Jennifer Batten : « Michael Jackson était unique »
Une nouvelle édition du MJ Music Day a eu lieu le samedi 04 mai 2024 avec, cette année, comme invitée d’honneur Jennifer Batten.
La guitariste, l’une des rares femmes intégrées au cercle très masculin des guitar heroes, a travaillé pendant dix ans aux côtés de Michael Jackson. Qui ne se souvient pas de sa crinière blonde incroyable lors du solo de Beat It sur scène, pour ne citer que cet exemple ?
Sa venue a été l’occasion de vivre d’une autre façon l’évènement que l’association On The Line organise chaque année à l’Abbey Road Institue de Suresnes. Car si depuis quelques temps, nous étions habitués à des séminaires sur le processus de création en studio, Jennifer Batten, est venue, elle, avec sa guitare électrique pour nous faire vivre un showcase entrecoupé d’anecdotes et de ses souvenirs des tournées.
Avec son jean et son blouson noir, la guitariste de 67 ans, pourtant habituée aux concerts hommage qu’elle donne régulièrement à travers le monde, semble ravie de se retrouver parmi les fans même si elle précise « que c’est rare pour elle de faire ce genre de choses.»
Elle commence fort en interprétant plusieurs morceaux de Michael Jackson à la guitare : Billie Jean, Black or White, Pretty Young Thing, Working Day and Night, The Way You Make Me Feel et Thriller. Le public est tout de suite dans l’ambiance, le mot d’ordre du séminaire est donné !
Elle interprétera aussi tout au long des deux heures trente Off The Wall, Bad, Rock With You, Dirty Diana, Liberian Girl, Blood On The Dance Floor et bien sûr, à la demande générale, le solo de Beat It.
Les débuts
« Le solo de Beat It est puissant et inhabituel dans la pop music »
Jennifer Batten a eu sa première guitare à l’âge de huit ans. « Mon père m’a acheté une guitare électrique, c’était assez inhabituel à l’époque. Ma sœur avait déjà une guitare et j’étais jalouse ! »
Inspiré par les Beatles, elle commence à prendre des cours de guitare. Ses parents ayant beaucoup déménagé, elle a des professeurs de musique qui ont chacun leur style : folk, blues, et le dernier qui allait inspirer sa musique, un professeur de rock.
Elle prend ensuite des cours à Hollywood dans une école où il y avait soixante étudiants (elle était la seule femme) et trois enseignants.
Depuis l’âge de neuf ans, elle vivait à San Diego, à environ deux heures de route de Los Angeles. On lui disait que pour faire carrière, elle devait venir à Los Angeles. Après des années d’hésitation, elle se décide enfin à emménager dans « cette ville immense et stressante. » « J’ai d’abord travaillé comme agent de sécurité avant de devenir professeur de guitare. Un jour, quelqu’un a appelé l’école pour demander deux personnes à auditionner pour la tournée Bad. J’ai dû apprendre des titres. J’ai acheté un CD player pour pouvoir entendre toutes les parties des morceaux plus clairement (à l’époque avec les lecteurs de cassettes, c’était beaucoup moins facile). Je n’avais qu’une seule instruction pour l’audition : ‘play funky’
Je savais jouer Beat It. C’était un titre difficile à apprendre mais j’avais ralenti le rythme pour l’apprendre. J’avais été époustouflée quand j’ai découvert le solo de Van Halen. C’est un solo puissant et inhabituel dans la pop music. C’était un challenge pour moi de le jouer. Sur scène, on devait jouer Beat It plus vite que sur l’album. Et en plus je portais des lasers dans les cheveux ! »
Elle parle aussi la fois où elle a rencontré Eddie Van Halen : « C’était durant le break du Bad Tour. Je suis arrivée en retard pour les répétitions avec mon propre groupe et on est venu me dire que Van Halen était là et qu’il voulait écouter le solo que je faisais. Mais je ne voulais pas le faire devant lui ! Quand je suis entrée, il m’a donné sa guitare et je n’ai pas pu faire autrement que de jouer. Il ne se souvenait pas bien de son propre solo, mais ça lui est revenu rapidement. Ca a été un moment spécial. Il m’a raconté que Quincy Jones l’avait appelé trois fois et qu’il ne l’avait pas reconnu et il lui a raccroché au nez à chaque fois. Il voulait lui proposer le solo. Van Halen ne pensait pas que les gens le reconnaîtrait sur le morceau. »
Jennifer Batten joue donc le solo de Beat It durant l’audition – Christopher Currell a raconté lors du MJ Music Day en 2023 qu’elle ressemblait à une bibliothécaire quand elle s’est présentée! (à lire ici) – ainsi qu’un titre de Jeff Beck et un morceau qu’elle improvise (qui finira ensuite sur son premier album) et trois jours plus tard, elle avait un message sur son répondeur lui indiquant que Michael Jackson était intéressé pour l’avoir pour sa tournée.
Jennifer annule ses rendez-vous et participe aux répétitions de la tournée, son billet d’avion pour Tokyo, la première étape de la tournée Bad, en poche.
Après quelques concerts au Japon, alors qu’ils étaient à Disneyland (à Tokyo) – elle passait alors beaucoup de temps avec la choriste Sheryl Crow – Michael est venu la voir et lui a dit qu’il aimait beaucoup sa manière de jouer.
Jennifer Batten sera aussi engagée pour le Dangerous Tour puis le HIStory Tour. « Quand This Is It a été annoncé, je me suis dit que j’allais en faire partie, mais une fille plus jeune a été prise ! »
Le Bad Tour
« Le Bad Tour avait un budget d’un million de dollars pour les costumes »
En réponse à une question d’un fan, Jennifer déclare que cette tournée est sa préférée. « Michael était en super forme (‘he was on fire’), il avait des choses à prouver. La tournée avec ses frères avait été compliquée. »
On avait une immense scène. Michael aimait que le son soit très fort, il voulait une immersion totale. C’est sur le titre Man In The Mirror que le son était au plus fort. J’ai perdu quelques décibels à mon audition à cause de cela. »
« Jon Clarck était l’autre guitariste, c’était génial de jouer avec lui. Il y avait aussi David Williams et Ricky Lawson, le batteur. Tous les trois sont désormais décédés. Greg Phillinganes était le directeur artistique. Jonathan Moffet devait jouer avec nous mais il était sur la tournée de Madonna et c’est Ricky Lawson qui a été pris. »
« Michael avait une vision très claire pour les costumes de la tournée. Il y avait un budget d’un million de dollars pour tous les costumes. Michael portait sur scène une ceinture d’une valeur de 30 000 dollars ! Un styliste a été engagé pour les costumes de chacun. J’ai dû me teindre les cheveux, je n’étais pas habituée à tout cela.
Les costumes étaient super mais les designers ne prenaient pas en compte le fait que l’on devait bouger. Les danseurs perdaient leur pantalon et Jon Clark à même un jour craqué son pantalon au niveau des fesses en faisant un grand geste!» (rire)
« Karen Faye était la maquilleuse et Frank Dileo, le manager, très mafioso (rire) »
En parlant de Frank Dileo, elle évoque une anecdote où elle et Jon Clarck sont allés le voir dans sa chambre d’hôtel. « Nous n’étions pas satisfaits des réglages techniques, alors nous sommes allés le voir. Il nous a reçus, avec son cigare à la bouche. Au début il ne voulait rien entendre et puis finalement il a dit avec sa grosse voix : (elle l’imite) ‘ouais ok, on va engager un nouveau technicien’ » (rire)
Jennifer poursuit : « Nous étions une centaine de personne sur la tournée. Nous étions une petite communauté. On logeait dans trois hôtels, il y en avait pour 500 000 dollars par semaine.
La vie en tournée
« Le Bad Tour c’était comme des vacances payées »
Les tournées ont été l’occasion pour Jennifer Batten de partir à la découverte du monde. Elle raconte : « Le Bad Tour c’était comme des vacances payées. A l’époque, j’avais peu voyagé. Un jour Michael est venu nous voir et nous a demandé si on avait déjà été en Europe. Il était content de pouvoir nous permettre cela.
Durant le Dangerous Tour, on était à Tokyo pour la période de Noël. J’ai pu acheter des tas de cadeaux pour ma famille.
A Disneyland Tokyo, j’ai pu faire une attraction avec lui, mais d’une manière générale, il était très entouré par ses gardes du corps ou son manager. Une fois, j’ai eu l’occasion de me retrouver dans une pièce où il y avait ses bodyguards qui essayaient de le faire sortir par une porte arrière, c’était stressant !
Pour le Bad Tour, on était en Australie pour notre fête de Thanksgiving. Michael a organisé un repas pour tout le monde. Il était adorable. J’en ai profité pour discuter avec Nelson Hayes, qui m’avait auditionnée pour la tournée. Il m’a raconté des histoires sur Michael comme la fois où ce dernier avait poussé sa voiture en panne à Los Angeles. Vous imaginez la scène ! (rire)
Entre les dates de concerts, je visitais les villes où on était. La première ville qu’on a fait c’est Rome et je me suis retrouvée devant le Colisée, c’était magnifique. J’ai d’ailleurs commencé à collectionner des patchs dans chaque ville que je mettais sur ma veste. »
« Michael se reposait lors des day-off. Il était habitué à cette vie. Il donnait tout sur scène et se reposait entre les concerts.
Il n’aimait pas prendre l’avion. La plupart du temps, nous prenions des vols commerciaux, il était en première classe. Sur un voyage, il y a eu deux avions, un pour lui et un pour l’équipe. On aimait bien faire des blagues et porter des masques pour tromper les fans en descendant de l’avion. »
Les répétitions
« Michael regardait les films des répétitions et on avait des instructions le lendemain »
Pour le Bad Tour, Jennifer explique que « les musiciens répétaient sans les danseurs ni les choristes. Les tempos étaient plus rapides. Pour le premier au concert au Japon, j’étais très nerveuse, mais on répétait deux fois par jour le show en entier et tout s’est très bien passé. Michael se mettait sur la pelouse pour voir à quoi cela ressemblait depuis le public. Après les répétitions, Michael et Greg Phillinganes regardaient le film des répétitions et le lendemain, on avait des notes avec des instructions. »
Sur le HIStory Tour, je n’étais pas très bien préparée, j’ai été appelée deux semaines avant seulement et c’était une période très compliquée pour moi. »
A la question d’un fan sur les titres qui ont été répétés et mais pas joués sur scène, Jennifer Batten ne se souvient que de Remember The Time : « Tout était prêt, il y avait des tas de costumes mais ça ne s’est jamais fait. »
Sur scène
« Michael avait de la prestance »
Les moments sur scènes restent des souvenirs incroyables pour la guitariste. Elle n’hésite pas à dire que le fait de jouer un titre, ou de répondre à une question lui rappelle des tas de souvenirs : « On a joué Off The Wall durant le Bad Tour », dit-elle après avoir interprété le titre à la guitare devant nous. Une petite phrase toute simple, mais on imagine aisément les images qu’il peut y avoir derrière !
Après avoir joué Bad, elle se souvient : « On a joué Bad en Australie, avec Stevie Wonder. C’était un drôle de soir, il est arrivé sur scène, comme ça, à la fin, on ne s’y attendait pas ! »
Elle joue aussi Dirty Diana et suite à une question d’un fan, elle confirme avoir interprété le titre devant la princesse Diana : « On l’a joué à Wembley, Lady Diana aimait la chanson. Pour le HIStory Tour, on devait jouer en Belgique le jour de son décès. Quand on a apprit son décès, le show a été annulé. Les assurances n’étaient pas d’accord mais Michael l’a annulé. Je n’avais jamais réalisé à quel Michael lui était très attaché. »
Au moment d’interpréter Blood On The DanceFloor devant nous, la guitariste nous avoue que « c’est l’un des sons les plus funky que j’ai joué.»
« Michael ne voulait jouer que des titres que le public connaissait. »
« Il y a eu beaucoup d’argent dépensé sur les effets spéciaux. Michael dépensait une fortune dedans alors qu’aujourd’hui cela couterait beaucoup moins. Mais il était le premier à le faire !
Lors de l’apparition de la fusée sur le HIStory Tour, on s’amusait à regarder la réaction du public ! »
Sur le Bad Tour, pendant le titre Heartbreak Hotel, à un moment, il y a une explosion, je tournais toujours la tête à ce moment-là, ça me faisait peur !
Une fois, sur le HIStory Tour, j’ai été brûlée. J’avais une guitare avec des effets pyrotechniques. J’avais deux ou trois boutons pour activer les effets, mais cette fois-là, j’étais fatiguée, cela ne s’est pas passé comme d’habitude et j’ai été brûlée au deuxième degré. »
Sur She’s Out of My Life, Michael faisait monter une fille sur scène. C’était drôle de voir ces filles perdre leur moyen. Michael en riait beaucoup. »
Jennifer confesse que Michael faisait semblant de pleurer à la fin de She’s Out Of My Life !
Le titre préféré de la guitariste est Human Nature : « J’adore les parties à la guitare, les harmonies et Michael a une belle voix dessus. Son interprétation du titre est magnifique. Michael avait de la prestance sur scène. Les autres étaient des super danseurs, mais, lui il était la danse, il était unique.
Sur Billie Jean, il dansait devant moi. Je n’avais pas à jouer sur ce titre, quand on était sur scène, alors je le regardais danser, il était là à quelques mètres, juste devant moi, c’était incroyable. »
En évoquant les performances filmées, notamment le concert de Bucarest pour le Dangerous Tour, Jennifer Batten raconte que le fait d’être filmée la stressait beaucoup : « J’avais toujours peur que mes cordes de guitare cassent. Je me demandais toujours si je devais les changer ou pas au cours des tournées. Si je ne les changeais pas, elles pouvaient casser, si je les changeais, il pouvait y avoir des problèmes d’accord. Mais il valait mieux un mauvais accord qu’une corde cassée en plein concert ! » (rire)
Après le HIStory Tour, Jennifer Batten travaille avec le guitariste Jeff Beck. Il lui a été demandé si son travail avec les deux artistes était différent. « Avec Michael Jackson, on avait beaucoup de répétitions et tout était cadré. On ne devait même pas dépasser un certain horaire pour les concerts, sinon la note pouvait être salée ! Avec Jeff Beck, une grande part était laissée à l’improvisation. Il attendait de nous qu’on le stimule. Mais on n’avait pas le droit à l’erreur. Avec Michael, le groupe était important et on camouflait les éventuelles erreurs des uns et des autres. »
Le titre que la musicienne aime le plus interpréter est d’ailleurs un morceau de Jeff Beck, Big Block, dont elle nous joue un court extrait.
Come Together, Moonwalker, 1988
« Tout était scénarisé »
La dernière séquence du film Moonwalker montre Michael Jackson sur scène interprétant Come Together, une reprise des Beatles. Jennifer Batten a participé au tournage et se remémore : « J’ai adoré faire Come Together. On a tourné pendant deux jours, juste pour le film. Le public, ce sont des figurants à qui on avait donné des lumières vertes. Ma sœur était dedans (rire). Tout était scénarisé, y compris la fan qui grimpe sur la scène. Ce qui n’était pas prévu c’est qu’à un moment ma guitare a touché son t-shirt et a arraché un morceau !»
Le Super Bowl de 1993
« Michael Jackson ne voulait pas faire le Super Bowl »
En janvier 1993, Jennifer Batten est présente sur la scène du Super Bowl, aux côtés de Michael Jackson. Suite à la question d’un membre du public, elle partage ses souvenirs des répétitions : « C’était différent de ce qu’on faisait d’habitude. Michael ne voulait pas le faire, on l’a convaincu d’y participer. Ca a été un one shot. »
« Le public était inhabituel, il venait voir du football et les réactions n’étaient pas les mêmes que lors des concerts. Durant le Dangerous Tour, quand Michael apparaissait en sautant sur la scène de son toaster, le public devenait fou, là les réactions étaient beaucoup moindre.
Je ne savais pas ce qui allait se passer, je découvrais comme le reste du public. Quand les sosies sont apparus en haut des écrans, j’ai fait comme tout le monde, je les ai regardés avec étonnement ! »
Nous avons répété dans un stade vide, au milieu du terrain, c’était assez perturbant. Le son faisait écho, les danseurs n’arrivaient pas à se caler. »
Parmi toutes les anecdotes, Jennifer Batten nous glisse une petite nouvelle : « Prince Jackson m’a invitée sur le tournage du biopic qui sortira en avril 2025. J’ai pu voir la fille qui tient mon rôle. Elle a la même chevelure et on lui a fait une réplique de la guitare que j’avais à l’époque. Ca va être énorme ! »
Cette édition du MJ Music Day aura encore été un grand moment. Si je regrette qu’il n’y ait pas eu du tout de photo ou de vidéo des temps forts que Jennifer Batten a pu vivre avec Michael tout au long de sa carrière – la guitariste a souhaité diffuser sur un écran des films en noir et blanc qu’elle utilise durant les shows qu’elle fait en hommage au chanteur, pendant ses morceaux de guitare – on ne peut que remercier l’association On The Line de nous permettre chaque année de nous retrouver entre fans afin de perpétuer l’héritage de Michael Jackson. Rencontrer et écouter ces personnes qui l’ont approché au plus près est vraiment une occasion unique et incroyable. Et comme à chaque fois, chacun a eu droit à des dédicaces (ainsi qu’une lithographie de la guitariste offerte par Christophe Boulmé) et une photo avec l’artiste.
Les photos et vidéos étant interdites pendant l’évènement, je partagerai celles de l’association On The Line lorsqu’elles seront disponibles. En attendant vous pouvez regarder la vidéo d’Hector Barjot.
Cette année, toutes les personnes présentes ont aussi eu droit à un bon d’achat de vingt euros pour se faire plaisir au stand de vente de collectors. Une première qui a été très appréciée. Merci à tous les organisateurs et je l’espère à très vite.