Muscles et Eaten Alive: les collaborations de Michael Jackson avec Diana Ross
Diana Ross et Michael Jackson c’est une longue histoire d’amitié depuis le début des Jackson 5 chez Motown où la chanteuse était déjà une grande star.
Malgré le départ du groupe du label de Berry Gordy, qui les a lancés à la fin des années 60, Diana et Michael ont gardé un lien très fort. Et lorsque Diana soumet le nom de Michael Jackson pour le rôle de l’épouvantail dans le film musical The Wiz, elle ne sait pas encore qu’elle va être à l’origine d’une rencontre qui changera la musique, celle entre le leader des Jacksons et le producteur Quincy Jones sur le tournage du film.
En 1981, Diana Ross quitte elle aussi la Motown pour le label RCA. Son dernier album sorti en mai 1980 sous le label de Detroit est probablement son plus grand album, tout simplement intitulé diana. Produit par Nile Rodgers et Bernard Edwards, les membres fondateurs du groupe Chic, il contient entre autres, les deux hits Upside Down et I’m Coming Out. On se souvient d’ailleurs que Michael était monté sur scène avec Diana Ross lors de son concert au Forum d’Inglewood, en février 1981, alors qu’elle interprétait Upside Down. La performance sera conservée pour l’émission diana TV Special diffusée le mois suivant, où Michael et Diana se retrouvent pour une séquence où on les découvre plus proches que jamais (à lire ici).
Le premier album de Miss Ross chez RCA, Why Do Fools Fall in Love sort le 14 septembre 1981, autoproduit par l’ex-chanteuse des Supremes elle-même, et rencontre un grand succès.
Un an plus tard, le 10 septembre 1982, Silk Electric paraît – la pochette est signée Andy Warhol – avec notamment le single Muscles, écrit et produit par Michael Jackson. Alors en plein enregistrement de son album Thriller, le jeune protégé de Diana accepte de collaborer avec sa grande amie.





Muscles
Dès janvier 1982, au cours d’une interview (à partir de 6:56 dans la vidéo) par des fans lors de la célèbre émission Soul Train de Don Cornelius, Diana Ross évoque son souhait de travailler avec Michael : « J’aimerais beaucoup collaborer avec lui. Michael et moi sommes amis depuis qu’il est tout petit et il écrit des choses extraordinaires. En ce moment, il travaille sur un album et écrit une chanson avec Paul McCartney, et il est censé revenir en ville bientôt, et j’aimerais bien travailler avec lui. On va voir si on peut faire quelque chose. »
Quelques mois plus tard, le 20 août 1982, Bob Colacello, collaborateur d’Andy Warhol pour son magazine Interview, rencontre Michael Jackson dans sa propriété d’Encino, à Los Angeles. Michael évoque comment la chanson lui est venue :
BC: Tu as travaillé avec Diana Ross!
MJ: Je ne le fais que pour les gens que j’aime bien. Diana c’est comme une mère-amante-amie pour moi. Elle est merveilleuse. Je viens d’écrire, produire et mixer son prochain single, Muscles.
BC: Tu as aussi écris les paroles ?
MJ: Les paroles, la musique. Je viens juste de terminer, et ça devrait sortir à la fin du mois.
BC: Quand trouves-tu le temps d’écrire tout ça?
MJ: Dans les avions. Je revenais d’Angleterre où je travaillais sur l’album de Paul McCartney, (…) et soudain cette chanson m’est venue en tête. Je me suis dit ‘Hey, ça serait parfait pour Diana!’ Je n’avais ni magnétophone, rien du tout, alors j’ai dû souffrir pendant bien trois heures. Dès que je suis rentré chez moi j’ai enregistré ce truc sur une cassette. (1)
Muscles est la première piste de l’album et est le premier titre à sortir en single le 17 septembre 1982 aux Etats-Unis – où il atteindra la quatrième place du R&B single chart et la dixième place du Billboard Hot 100 – et le mois suivant au Royaume Uni – où il atteint la quinzième place.



Le morceau est inspiré du serpent que Michael Jackson possédait à cette époque-là et qui ne le quittait pas. Certaines personnes présentes lors des sessions d’enregistrement aux Hollywood Sound Studios s’en souviennent encore !
Michael Jackson fait appel à Bill Wolfer pour les synthétiseurs. Lors d’une interview pour le magazine Invincible, en 2015, le musicien se rappelle : « Michael m’a appelé et m’a annoncé qu’il allait produire une chanson pour Diana Ross. Il m’a demandé si je pouvais venir pour jouer du synthétiseur. J’étais très content de le faire car j’étais un de ses admirateurs depuis si longtemps. Malheureusement, Diana n’était pas en studio ce jour-là. Les personnes présentes étaient Michael et moi, les ingénieurs du son, l’assistant de Michael, Nelson Hayes et Muscles, l’énorme boa constrictor qui a inspiré cette chanson et ce titre. Lors de l’enregistrement, Muscles dormait à l’intérieur d’une énorme taie d’oreiller. Michael l’en a sorti et m’a demandé si je voulais le porter. Le serpent était si gros et si lourd que Michael et Nelson l’ont porté ensemble pour me le poser sur les épaules. Il devait peser au moins trente kilos. Au bout d’une minute, le serpent a commencé à serrer mon cou puis s’est sérieusement accroché à moi. Je me souviens avoir dit à Michael : ‘Enlève moi cette chose !’ Ils se sont mis à rire puis l’ont ôté. Ils ont trouvé cela très amusant, moi beaucoup moins.
Après que la version basique de la chanson ait été établie, j’ai placé quelques parties de synthétiseur. Comme toujours, j’ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec Michael mais je me souviendrai surtout de cet épisode avec le serpent ! » (2)
Dans son autobiographie, Moonwalk, sortie en 1988, Michael revient sur l’inspiration de cette chanson : « Les gens croient toujours les paroles qu’on chante nous ressemblent, et qu’elles ont un sens particulier pour nous, mais souvent ce n’est pas vrai. Ce qui compte c’est d’émouvoir les gens, de les toucher. On peut le faire avec la mosaïque de la mélodie, des arrangements et des paroles, parfois le contenu des mots est purement intellectuel… On m’a souvent posé des questions sur la chanson Muscles. Je l’ai écrite et réalisé pour Diana Ross. Cette chanson est la façon dont j’ai toujours rêvé de lui redonner tout ce qu’elle m’a donné, tout ce qu’elle a fait pour moi. J’ai toujours aimé Diana et je l’admire toujours, j’essaie de le lui prouver. A part ça, Muscles est aussi le nom que j’ai donné à mon serpent. » (3)
Et en effet, loin de parler d’un serpent, la chanson évoque le désir d’un homme musclé, jeune ou vieux, qui saura satisfaire la dame : « She said she wants a guy/ To keep her satisfied/ (…) Still, I don’t care if he’s young or old (Just make him beautiful)/ I just want someone I can hold on to/ I want muscles/ All, all over his body »
Cet hymne à une certaine idée du corps masculin, avec Patti Austin dans les chœurs et probablement Michael Jackson, bien que non crédité, donne lieu à un clip vidéo – un peu kitsch mais finalement très 80’s – réalisé par Paul Justman, où la belle Diana est filmée dans un lit rêvant à des hommes bodybuildés.
Le titre permet toutefois à la diva d’obtenir une nomination aux Grammy Awards de 1983 dans la catégorie Meilleure performance vocale R&B féminine, une récompense que lui ravira Jennifer Holliday avec sa chanson And I Am Telling You I’m Not Going, extraite de Dreamgirls, la comédie musicale de Broadway inspirée de …. Diana Ross et The Supremes!
Eaten Alive
Trois ans après Muscles, et quelques mois après leur participation au titre caritatif We Are The World, Michael Jackson collabore à nouveau sur un titre pour son amie. Le 24 septembre 1985 sort Eaten Alive, le cinquième album de Diana Ross, sous le label RCA.
Pour la première fois, la chanteuse s’octroie les services de Barry Gibb, qui après avoir connu le succès avec ses frères, les Bee Gees, s’est lancé dans la production depuis le début des années 80.
L’équipe Gibb-Galuten-Richardson, composée de Barry Gibb, du musicien et auteur-compositeur américain Albhy Galuten et de Karl Richardson, ingénieur du son américain, produit en 1980 l’album Guilty de Barbra Streisand, alors rivale des charts de Diana Ross, le Heartbreaker de Dionne Warwick, en 1982, ou encore l’album Eyes That See In The Dark, de Kenny Rogers, en 1983.
A la fin de l’année 1984, après la sortie de l’album à succès Swept Away de Diana Ross, l’équipe Gibb – Galuten- Richardson commence à travailler sur des démos pour la chanteuse, dont les droits d’auteur seront enregistrés en janvier et en mars 1985. Michael Jackson s’intéresse particulièrement à la démo d’Eaten Alive, écrite par Maurice et Barry Gibb, et suggère quelques modifications au niveau du refrain. Il propose alors une nouvelle démo en juillet 1985. Crédité en tant que co-auteur du titre, Michael pose également sa voix et fait les chœurs avec Barry Gibb.


Photo de droite: Michael Jackson, Diana Ross et Barry Gibb et sq famille, en studio, probablement à Miami
Le single Eaten Alive devient le premier extrait de l’album du même nom et sort le 1er septembre 1985. Malgré la présence d’un des frères Gibb et de Michael Jackson, dont les voix se marient – parfois trop peut-être – avec celle de la chanteuse, le morceau ne rencontre pas le succès aux Etats-Unis et atteint péniblement la 77ème place du Billboard Hot 100.



Beaucoup attribue cet échec (et l’échec de l’album en général) aux clips des singles. Celui qui accompagne le titre, réalisé en noir et blanc par David Hogan, est inspiré du roman de H.G. Wells, L’Île du docteur Moreau. Diana Ross y incarne une femme devenue créature féline qui finira par dévorer vivant un homme perdu sur son île. Certaines scènes ne sont d’ailleurs pas sans rappeler le Thriller de Michael Jackson. Mais, malgré la notoriété de Diana Ross, n’est pas Michael Jackson (et John Landis) qui veut.


Loin du style R & B Soul de la Motown ou disco du début des années 80 de la diva, le titre aux sonorités pop-rock-métalliques rencontre cependant un relatif succès en Europe où il parvient à entrer dans le Top 10 et le Top 20.
Sur la pochette de l’album, Diana Ross, femme fatale, pose avec des colliers à la main auprès d’un tigre. S’il s’agit bien sûr d’une référence à son titre Eaten Alive, peut-on aussi y voir une référence à la célèbre pochette de l’album de son protégé ? Celui-ci laisse d’ailleurs une dédicace à sa marraine du show business au verso de l’album : « You are truly Supreme. Good to be with you again. I love You, Michael, 1998. »



En mai 1985, Michael Jackson aurait enregistré sa propre démo d’Eaten Alive, qui à ce jour n’a jamais été entendue.


