The Jacksons à la télévision espagnole en février 1979: les dessous des enregistrements
Après la sortie de leur album Destiny, en décembre 1978, les frères Jackson partent en tournée pour un Destiny World Tour au début de l’année 1979. Entre certaines dates de concert, ils enregistrent des prestations pour des émissions de télévisions européennes. Ils seront ainsi les 14 et 15 février 1979 à Leysin en Suisse. Quelques jours auparavant, fin janvier, l’enregistrement pour deux émissions de la TVE, une chaîne de télévision espagnole, les mène à Madrid.
Ce n’est pas la première fois que les Jacksons enregistrent pour la télé espagnole. A la fin de l’année 1976, ils avaient participé à une émission spéciale pour les vingt ans de la TVE, Nochevieja, mais le tournage des séquences avait eu lieu à Las Vegas où Valerio Lazarov, le réalisateur, avait envoyé une équipe. Les frères ont alors interprété Think Happy et Enjoy Yourself, avec une présentation et un « Joyeux anniversaire » en chantant et en espagnol, aux côté de la présentatrice Didi Sherman, la femme de Lazarov.
Ils chanteront aussi Keep On Dancing, Good Times et Dreamer.
En 1979, Luis Javier Martinez, un des dirigeants d’Epic à Madrid, a accompagné Michael Jackson et ses frères le temps de leur séjour dans la capitale espagnole et a partagé ses souvenirs en juillet 2009.
« Le 17 Décembre 1978, est sorti l’album Destiny des Jacksons, le troisième album du groupe sous le label CBS / Epic Records après une longue carrière au sein de la Tamla Motown de Detroit.
Pour cet album, le label avait autorisé les frères Jackson à écrire, enregistrer et produire la plupart des chansons, une première pour le groupe. En deux mois, les frères ont composé leur album dans le studio d’enregistrement de leur maison familial d’Encino.
A cette époque, je travaillais comme directeur artistique pour le Répertoire International pour Epic, une compagnie qui en peu de temps avait sorti un certain nombre de disques dans le pays comme à l’étranger : Albert Hammond, Boston, Kansas ainsi que des artistes d’autres labels comme Supertramp ou The Police.
Après le lancement de Destiny , une tournée de promotion dans le monde entier a été organisée avec la chanson Shake Your Body , bien qu’en Espagne Blame It On The Boogie avait plus de succès.
Après un certain nombre d’appels téléphoniques et même de télex, nous avons réussi à faire en sorte que les Jacksons incluent l’Espagne dans leur tournée de promotion. Cela signifiait que le groupe viendrait à Madrid et qu’il fallait exploiter leur temps passé dans la capitale de la meilleure façon possible.
Une fois tout organisé, le groupe est arrivé pour un séjour de quatre jours au cours duquel il allait enregistrer pour le programme de Valerio Lazarov (l’émission de variétés « Sumarisimo ») et pour « Aplauso » présenté par José Luis Uribarri et produit par Hugo Stuven. Nous avions également programmé des interviewes pour la presse et la radio, notamment avec un rendez vous dans l’émission de radio El Gran Musical.
Le 26 Janvier, 1979 Jackie, Tito, Marlon, Michael et Randy Jackson sont arrivés à l’aéroport Barajas de Madrid. (…) Dans l’ancien terminal et avec des mesures de sécurité infiniment plus détendues qu’actuellement, je n’ai eu aucun problème pour les recevoir après leur passage à la douane et attendre avec eux l’arrivée de bagages encombrants, composés de plus de dix malles, sans compter les quelques dizaines de valises.
La première fois que j’ai rencontré les Jacksons, j’ai eu l’impression d’être avec un groupe d’enfants majeures, malades et fatigués de tout avant même de commencer. Ils se couchaient sur le tapis roulant, comme s’ils venaient de courir un marathon. Ils ont eu cette attitude tout le long du séjour, quand j’étais avec eux sauf quand ils devaient travailler, on aurait dit alors que leurs batteries étaient rechargées et ils se transformaient en véritable tourbillon ». (1)
Adrian Vogel, qui travaillait pour la TVE en 1979, était aussi présent lors de l’arrivée des frères Jackson. Il décrit Michael Jackson comme un jeune homme « timide et introverti », qui s’isolait en gardant son casque audio sur les oreilles. « Il semblait concentré sur sa musique. Ses frères semblaient plus abordables, surtout Tito ». (2)
« La « troupe » était composée des cinq frères, de trois managers qui s’occupaient de l’organisation et du côté artistique, d’un cuisinier, de deux costumiers, d’un coiffeur, d’une gouvernante et de deux enseignants, qui, apparemment pour des raisons juridiques, accompagnaient les garçons afin qu’ils ne négligent pas leur scolarité », explique Martinez.
« Ils ont séjourné au Palace Hotel de Madrid (aujourd’hui appelé le Westin Palace), où certains partageaient une chambre. A cette époque, le groupe était populaire, mais curieusement il n’y a pas eu de persécution de la part de fans ou de paparazzis.
Le samedi 27 Janvier, nous avons fait un peu de tourisme et avons visité le Musée du Prado. Au cours de cette visite, nous avons eu une situation un peu tendue : alors que nous étions dans la salle de Las Meninas (tableau Les Ménines de Velazquez), des agents de sécurité assez brusques de la famille royale sont apparus car un des membres était en visite au musée. Nous nous sommes mis de côté et avons obligé Tito et Randy et une autre personne du groupe qui portaient une casquette à l’enlever au cas où un membre royal apparaitrait. Cette demande a laissé un peu perplexe le groupe qui n’a pas vraiment compris ces mœurs. Nous n’avons vu aucun membre royal, mais il a fallu que je donne quelques explications. Nous étions en 1979 et le passé laissait encore des traces.
Après la visite du Prado, nous sommes allés manger une paella à La Barraca, un restaurant typique valencien, près de La Gran Via. Le reste de l’après-midi a été libre. Les garçons sont allés faire leurs devoirs à l’hôtel, mais nous avons encore le temps de faire du shopping.
Michael Jackson n’était pas l’aîné des frères, mais il était clairement le leader. Il avait fait quelques disques en solo et il se détachait aussi du groupe car il était le plus intéressé par ce qui se passait autour de lui. En diverses occasions j’ai pu constater une différence avec ses frères.
Lors de la visite du musée du Prado c’est celui qui a montré le plus d’intérêt. Il posait des questions sur certaines œuvres et montrait une grande excitation et de la curiosité devant certains tableaux. Il a fait preuve d’un intérêt particulier notamment sur la peinture de Velázquez.
Lors des jours suivants que nous avons passés ensemble à Madrid, à plusieurs reprises le leadership de Michael a été déterminant. Et, en même temps il a dévoilé le charisme et le talent qui ferait de lui, quelques années plus tard, la grande star qu’il est devenu.
Le dimanche 28 janvier, à midi, nous sommes allés à El Gran Musical, une émission de radio diffusée en direct sur Cadena SER (une des plus importantes stations de radio espagnoles) depuis la discothèque Titanic, rue Atocha.
Le programme était présenté par Cañaveras Pepe et réalisé par Rafael Revert. Ce fut le premier contact de Michael Jackson avec les médias en Espagne. Il fut aussi présenté à Joaquin Luqui qui collaborait chaque dimanche au programme (…)
Le lundi et le mardi suivants ont été très représentatifs de ce que c’était que de travailler avec des artistes, devant et derrière la caméra.
A 10h00 du matin nous nous étions convoqués dans les anciens studios Roma, rue Colmenar, où se trouve actuellement le centre de production de Tele 5, où nous attendaient Valerio Lazarov et son équipe de production pour enregistrer une seule chanson, le single dont ils faisaient la promotion à l’époque, Blame It On The Boogie, d’une durée de 3 minutes et 36 secondes. Nous sommes arrivés à l’heure et les cinq Jacksons, les managers, le coiffeur, les costumiers et toutes les malles pleines de costumes colorés et à paillettes, d’instruments de musique et tout le nécessaire pour enregistrer sans aucun problème étaient prêts.
Après les présentations, Valerio Lazarov nous a expliqué comment il pensait filmer le groupe et ce qu’il voulait obtenir de la prestation, la chorégraphie du Ballet Zoom, les membres du groupe et leurs instruments et bien sûr la voix Michael Jackson.
Les Jacksons sont allés dans leur loge avec leurs costumiers et maquilleurs et vers 10h30 ils étaient sur le plateau, prêts à commencer. Valerio Lazarov et ses collaborateurs faisaient des tests de lumière, des essais caméra, de zoom, de playback, des tests … de tout. Lazarov avait une façon de réaliser avec des prises de vues différentes très rapides qui alternaient prises larges et zoom sur l’artiste. Avec tous ces préparatifs nous continuions d’attendre la voix qui dirait « Silence on tourne », mais malheureusement, tout ce que nous avons entendu c’est qu’il était midi, l’heure du déjeuner !!! On allait s’arrêter… Mais quand allions-nous reprendre ? Je n’en avais aucune idée.
Nous sommes repartis dans les loges à attendre que les caméramen, les électriciens, et le reste de l’équipe de production soient prêts à reprendre. Quarante-cinq minutes plus tard, Michael Jackson, ses frères, et nous, les dirigeants de CBS-Epic, un peu tendus, étions de retour sur le plateau pour passer un bon moment de musique disco.
Valerio Lazarov … étaient encore en train de faire des tests et de vérifier que les préparatifs Croma (en anglais Chroma Key), une technique audio-visuelle largement utilisée dans le cinéma, la télévision ou la photo qui implique le remplacement d’un fond par l’ordinateur, fonctionnait correctement. Pour filmer avec cette méthode il faut choisir une couleur d’arrière-plan, puis filmer un objet ou une personne qui sera incrustée dans ce fond hypothétique. La couleur doit être l’une des champs chromatiques rouges, verts ou bleus. On utilise habituellement le vert ou le bleu mais pas le rouge, car c’est un des composants le plus importants de l’homme … blanc … Nous avons ainsi passé des heures aux studios Roma avec juste un petit essai de cinq secondes (…). Je commençais à craindre le pire, et heureusement que nous étions au milieu de l’hiver, et que la sieste traditionnelle ne se faisait pas à cette époque de l’année. Une fois que l’équipe de production a enfin eu fini, les Jacksons sont repassés au maquillage et ont pris place sur le plateau et pour chanter et danser devant les collaborateurs enthousiastes de Valerio Lazarov. (….)
L’après-midi avançait, mais pas les 3 minutes 36 secondes d’enregistrement de Blame It On The Boogie (…). Je commençais à devenir inquiet parce Lazarov n’accélérait pas le travail, et mes pires prédictions allaient effectivement se réaliser. Après une journée entière aux studios Roma et seulement une minute de tournage, l’enregistrement a été reporté au lendemain. Je ne me souviens pas de l’explication que j’ai donnée à l’époque aux frères Jackson stupéfaits, mais ils sont repartis dans leur loge, ont enlevé leur costume brillant. Nous avons repris la voiture et sommes retournés à l’Hôtel Palace tous très énervés.
Le problème, le lendemain, était que TVE, aux studios Prado del Rey [pour l’enregistrement d’Aplauso], n’était pas préparée pour enregistrer quatre chansons dans le Studio 1. Grâce à la compréhension et à l’aide de mon ami José Luis Uribarri, nous avons pu remettre l’enregistrement à l’après-midi. En supposant que nous ayons fini avec Lazarov aux studios Roma.
Le mardi 30 janvier, aux premières heures, la routine de la journée précédente a repris, avec une humeur un peu altérée mais confiante sur le bon travail de l’équipe de production. Mais les problèmes se sont reproduits, les tests ne donnaient rien et les choses commençaient à se compliquer. Les Jacksons étaient toujours dans leur costume à paillettes quand est apparu le groupe de rock Burning (…).
Dans le brouhaha du plateau, quelqu’un a fait un commentaire sur les vêtements du groupe Burning, sur leurs pantalons en cuir noir, très rock, très noir et très approprié pour l’événement : c’était le style du groupe madrilène. Mais, avec le désordre, la tension, la fatigue, les essais et les prises, les frères Jacksons se sont arrêtés et ont commencé à parler entre eux. Ils sont venus me dire qu’ils avaient entendu quelqu’un parler d’ eux comme des « noirs », qu’ils étaient fatigués, qu’ils s’en allaient et qu’ils pensaient que « cet homme » (Lazarov), les faisait travailler à cause de cela, parce qu’ils étaient noirs!
Pendant quelques secondes le chaos a régné et je voyais déjà la fin de ma carrière dans l’entertainement.
Mais encore une fois j’ai pu remarquer le leadership de Michael. Je lui ai assuré qu’il n’y avait pas de problème de racisme en Espagne, que Valerio Lazarov était un réalisateur de renom et que le seul problème était qu’il voulait faire les choses bien mais que cela avait dépassé ce qui était prévu.
Apparemment, les explications lui ont suffit et Michael est reparti parler à ses frères dans les loges pour les convaincre de revenir. Leurs costumes étaient déjà dans les malles et les frères Jackson étaient prêts à quitter Colmenar Viejo ». (1)
Adrian Vogel a lui aussi été obligé de donner des explications à Michael : « Je lui ai dit que « Negro » en espagnol voulait dire « Black » (noir) en anglais et non pas « nigger », un terme insultant en anglais (un négro). Tito, qui parlait un peu espagnol, m’a aidé. Je lui ai expliqué que Lazarov était un perfectionniste, et qu’il était reconnu dans le monde de la télévision. Chaque mot de la chanson était une prise, c’était très lourd. Michael m’a alors regardé et m’a dit : « Je suis un perfectionniste, je dois le respecter ». (2)
« Parce que Dieu existe et que les Jacksons étaient certainement des saints et Michael l’Ange de la pop, celui-ci a convaincu le ses frères de retourner sur le plateau », poursuit Luis Javier Martinez, « mais avec une condition: une répétition et un seul enregistrement! Finalement ils ne répèteraient pas et enregistreraient les 3 minutes 36 de Blame It On The Boogie en une fois. Valerio Lazarov a accepté, a fait les essais et a enregistré ». (1)
L’émission Sumarisimo (un programme de variétés qui n’a duré que douze semaine, entre décembre 1978 et mars 1979) avec la prestation des Jacksons a été diffusée le lundi 5 février 1979.
« Les frères ont ensuite rassemblé leurs affaires et ont mangé un morceau. Alors que nous étions sur le chemin des studios Prado del Rey, avec Michael et un des membres de son équipe, nous sommes allés sur Gran Via, dans une petite boutique Lladró, située près de la Place d’Espagne. Michael adorait leurs figurines, mais comme nous devions nous rendre à TVE pour l’enregistrement de l’émission Aplauso, j’ai demandé au commerçant s’il pouvait nous ouvrir son magasin après sa fermeture pour que l’on puisse revenir après l’enregistrement.
Les choses aux studios Prado del Rey avec Uribarri et Hugo ont été complètement différentes. Nous avons enregistré les quatre chansons prévues sans problème ». (1)
Les prestations des Jackson dans Aplauso, incluant les titres Goin’ Places, Destiny, Shake Your Body (Down To The Ground) et Blame It On The Boogie seront diffusées le samedi 3 février 1979. Les frères finissent leur interprétation de Shake Your Body en dansant avec le public présent (voir la vidéo sur le site de la rtve).
« Vers minuit, Michael et moi étions dans la boutique de Gran Vía à acheter des figurines de chevaux, de carrosse, de fées, et de footballeurs. Sur le chemin de retour à l’hôtel, Michael me confesserait sa passion, que personne ne connaissait : le football.
Le lendemain, toute l’équipe s’est mise en route vers l’aéroport, la visite de Michael Jackson en Espagne prenait fin. Quelques mois plus tard, il sortirait l’album Off the Wall , qui serait le début de son règne musical. Je peux dire que j’ai eu de la chance de vivre ce moment » (1)
Sources : (1) plasticosydecibelios.com/ (2) efeeme.com/ mjhideout.com/rtve.es