So The Elephants March – Dancing The Dream, 1992
Ainsi marchent les éléphants
Une chose curieuse à connaître sur les éléphants est que pour survivre, ils ne doivent pas tomber. Tous les autres animaux peuvent trébucher et se relever. Mais l’éléphant est toujours debout même pour dormir. Si un éléphant du troupeau glisse et tombe, c’est sans recours. Il gît sur le coté, prisonnier de son propre poids. Bien qu’angoissés, les autres éléphants l’encerclent de près, ils essayeront de le soulever mais il est très rare qu’ils puissent réussir. En extirpant un long soupir, l’éléphant tombé meurt. Les autres se tiennent à son chevet puis, lentement, ils poursuivent leur chemin.
C’est ce que j’ai appris des livres de la nature, mais je me demande s’ils sont justes. N’est-ce pas pour une autre raison que les éléphants ne doivent pas tomber ? Peut-être ont-ils décidé de ne pas le faire. Ne pas tomber est leur mission. Comme les plus sages et les plus patients des animaux, ils ont fait un pacte ~ je pense que c’était il y a très longtemps quand la période glaciaire s’est terminée. Se déplaçant par vastes troupeaux sur la surface de la terre, les éléphants ont d’abord aperçu les maigres hommes rôdant autour des grands pâturages avec leur lance de pierre.
« Quelle est la peur et la colère de cette créature ? » ont pensé les éléphants. « Mais elle héritera de la terre. Nous sommes assez sages pour le comprendre. Donnons-lui un exemple. »
Alors, les éléphants ont regroupé leur tête grisonnante et ont réfléchi. Quelle sorte d’exemple pourraient-ils démontrer à l’homme? Ils pourraient montrer à l’homme que leur puissance était plus grande que la leur, ce qui était certainement vrai. Ils pourraient manifester leur fureur avant lui, laquelle était terrible au point de déraciner toutes les forêts. Ou encore, ils pourraient se moquer de l’homme par la peur, piétinant leurs champs et écrasant leurs huttes.
Dans les moments de grandes frustrations, les éléphants sauvages feraient toutes ces choses mais, comme une famille unie, ils ont décidé que l’homme apprendrait mieux par la méthode douce.
« Montrons-lui notre vénération pour la vie » ont-ils dit. Et à partir de ce jour, les éléphants sont devenus de silencieuses, patientes et paisibles créatures. Ils ont laissé les hommes les monter et les exploiter comme des esclaves. Exilés des grandes plaines Africaines où ils vivaient en roi, ils ont permis aux enfants de rire de leurs tours dans les cirques.
Le message le plus important des éléphants est dans leur mouvement. Ils savent que pour vivre ils doivent se déplacer. Aube après aube, époque après époque, les troupeaux sont en marche, une grande masse de vie qui ne tombe jamais, une force de paix qu’on ne peut pas arrêter.
Comme des animaux innocents, ils ne soupçonnent pas qu’après tout ce temps, ils tomberont sous les balles par milliers. Gisant dans la poussière, ils seront mutilés à cause de notre avidité honteuse. Les grands mâles tombent les premiers pour que leurs défenses puissent servir à faire des babioles. Puis les femelles tombent à leur tour pour que les hommes puissent avoir des trophées. Les bébés courent en hurlant à l’odeur du sang de leurs propres mères, mais cela ne leur donne rien de fuir les fusils. Silencieusement, avec personne pour les nourrir, ils mourront aussi et tous leurs os blanchiront au soleil.
Au milieu de tant de morts, les éléphants pourraient juste s’abandonner. Tout ce qu’ils doivent faire est de se laisser tomber par terre. C’est suffisant. Ils n’ont pas besoin d’une balle : la Nature leur a donné la dignité de s’allonger et trouver leur repos. Mais ils se souviennent de leur ancien pacte et de leur promesse envers nous, ce qui est sacré.
C’est ainsi que les éléphants avancent et chacun des pas marque des mots dans la poussière : « Observe, apprend, aime. Observer, apprendre, aimer. » Pouvez-vous les entendre ? Un jour dans la honte, les fantômes de dizaines de milliers de ces seigneurs des plaines diront : « Nous ne vous détestons pas. Ne voyez-vous pas enfin ? Nous étions prêts à tomber afin que vous, chers petits, ne tombiez jamais de nouveau. »